Il était déjà là en 1907. Sous un autre nom. Sous une autre forme. Mais exactement au même endroit. C'est même lui qui a nécessité la construction de la célèbre voie qui monte « en escargot ». Lui, c'est le train qui mène au sommet du puy de Dôme. De 1907 à 1926, le « chemin de fer à rail central » a transporté des milliers de passagers en haut du volcan auvergnat, inaugurant un nouveau tracé en pente sévère mais constante. Ce même tracé qui, une fois transformé en route automobile en 1926, servira à treize reprises de terrain de jeu d'exception au Tour de France entre 1952 et 1988.
Depuis 2012, le train à crémaillère est de retour. Mais il n'est plus l'artisan - même indirect - de la venue de la Grande Boucle sur le toit du département qui porte son nom. Ironie de l'histoire, le Panoramique des dômes en serait même devenu l'obstacle ultime, depuis que ses rails ont réduit la route de moitié pour ne laisser qu'un espace maximum de 3,50 m de large.
5. LA (GRANDE) BOUCLE DÉFINITIVEMENT BOUCLÉE ?
« Le but du Conseil général était de pérenniser l'accès au sommet du puy de Dôme, toute l'année, et dans des conditions optimales de respect de l'environnement, de l'architecture, du paysage et de la sécurité. D'autres scénarii ont été étudiés, comme la construction d'un télécabine, mais le train à crémaillère présentait l'avantage d'utiliser une voie existante et l'impact paysager était réduit. Forcément, cela s'est fait au détriment de l'accès au sommet par la route et donc de la possibilité de pouvoir faire revenir le Tour de France », reconnaît Philippe Morge, le directeur du site du puy de Dôme.
Selon lui, le choix effectué par le Conseil général en 2008 était difficile mais nécessaire : « Le Tour était une des composantes du projet, mais une petite composante par rapport à la problématique général du site. Cela aurait été dommage que l'accueil éventuel de la Grande Boucle se fasse au détriment de la possibilité offerte à près d'un demi-million de visiteurs d'accéder au sommet dans les meilleures conditions. »
Et le responsable du lieu le plus touristique d'Auvergne d'ajouter : « À mon sens, le train à crémaillère est un peu un faux prétexte. Même sans lui, cela aurait été difficile de faire revenir le Tour au puy de Dôme. Honnêtement, on aimerait tous revoir ça, ce serait fabuleux mais je crois que ce n'est plus possible. Ne serait-ce que pour des raisons environnementales car on est désormais sur un site classé Natura 2000 (réseau qui rassemble des sites naturels européens ayant une grande valeur patrimoniale par la faune et la flore exceptionnelles qu'ils contiennent, NDLR), un site qui a été totalement réhabilité végétalement. Si on renvoit du public dans une manifestation du type Tour de France, on aura à nouveau des piétinements anarchiques et les phénomènes d'érosion qu'on voyait dans les années 1990. Il faut en tenir compte. »
Un homme, pourtant, refuse d'abandonner tout espoir de revoir la Grande Boucle arpenter la (petite) route d'un de ses plus fameux terrains de jeu. Et pas n'importe lequel puisqu'il s'agit de Christian Prudhomme, le patron du Tour en personne. En dépit des obstacles, il reste fermement accroché à ce qu'il qualifie lui-même de « rêve ».
« Je suis arrivé le 3 janvier 2004 chez ASO comme adjoint de Jean-Marie Leblanc. On m'a donné mon ordinateur et la première chose que j'ai écrite c'est « Objectif puy de Dôme ». On est onze ans après, il n'y a pas eu de puy de Dôme mais je ne veux pas me résoudre à dire que ce n'est pas possible. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Fusse-t-il de 3,50 m... », nous a-t-il confié récemment, convaincu du potentiel sportif mais aussi télévisuel du volcan auvergnat : « Aujourd'hui, le puy de Dôme ferait un tabac en télévision. Depuis vingt ans, les retransmissions ont incroyablement progressé, notamment en ce qui concerne les paysages. Le puy de Dôme apporterait encore beaucoup, sans aucun doute. »
À en croire l'ancien journaliste, la Grande boucle serait même capable de dépouiller considérablement son dispositif pour aller sur ces lieux d'exception où on ne l'attend plus : « Vouloir installer systématiquement tout le grand barnum du Tour n'a aucun sens. Si nous avions continué à travailler comme cela, nous ne serions jamais arrivés au Galibier en 2011, nous ne serions plus capable de retourner au Ventoux, nous n'aurions pas fait d'arrivée au Tourmalet et on ne finirait pas à Mur-de-Bretagne. Ponctuellement, pour des lieux qui, sportivement et esthétiquement, le méritent, je peux demander des choses extrêmement compliquées aux équipes qui préparent les arrivées du Tour. Non seulement elles peuvent le faire mais elles n'ont qu'une envie c'est que je leur demande de le faire. »
Ces équipes en question doivent donc être satisfaites car d'après nos informations, Christian Prudhomme leur a soumis une idée complètement folle et unique dans l'histoire plus que centenaire du Tour de France. Puisque le nœud du problème semble être davantage la gestion de la foule sur une route étroite que la course en elle-même, les équipes d'ASO étudieraient la possibilité d'effectuer une fin d'étape... sans public !
Le projet, encore à ses balbutiements, consisterait à restreindre l'accès des quatre derniers kilomètres d'ascension - ceux qui débutent au niveau de l'ancien péage - aux seuls coureurs et à une quantité réduite de suiveurs (personnels techniques, directeurs sportifs, équipes de dépannage, médias...). Privée de son dessert final, la foule se contenterait de suivre le dénouement de l'étape via des écrans géants installés au pied du Géant des dômes.
Au détour d'une question, Christian Prudhomme nous avait d'ailleurs glissé une réponse qui, dans l'optique de ce scénario fou, prendrait tout son sens : « Que faut-il quand quelque chose est très fort et compte vraiment pour le Tour ? Les coureurs, une ligne d'arrivée, une évacuation possible et la télévision en direct pour retransmettre tout ça dans près de 190 pays. C'est ça qui compte. Le reste n'est qu'une question d'oganisation. »
En attendant un encore très hypothétique retour du peloton du Tour sur le toit du département qui porte son nom, le puy de Dôme ne met pas totalement le vélo sur le bas-côté, comme le rappelle fièrement Philippe Morge : « Le site a de multiples facettes, l'une d'elles ce sont les exploits sportifs et évidemment le vélo. On a voulu la faire perdurer en créant, avec le délégataire TC Dôme (exploitant du tram, NDLR) et la Fédération française de cyclotourisme, la Grimpée du puy de Dôme. Il a fallu se battre face aux réticences des services de l'Etat, mais nous l'avons fait. »
250 cyclistes se sont ainsi pris pour Anquetil ou Poulidor en escaladant à leur rythme, en juin dernier, les rampes du Géant des Dômes. Une fois tout ce petit monde arrivé au sommet, une descente par la route fut organisée. « En toute sécurité », selon le directeur du site, précisant que l'exploitation du train avait été suspendue toute une matinée pour l'occasion.
Une manière pour le Conseil général de répondre (un peu) à l'immense fascination que suscite toujours le volcan auprès des cyclistes du monde entier. Pour 2015, les cyclotouristes courageux peuvent déjà cocher la date du 14 juin prochain. En ce qui concerne les professionnels du Tour, l'attente pourrait être très longue avant que Johnny Weltz, modeste coureur vainqueur en 1988, ne connaisse enfin un jour un successeur au sommet du puy de Dôme.
Photos des années 1990 à l'appui, Philippe Morge, le directeur du puy de Dôme, montre qu'un gros travail environnemental a été fait pour réhabiliter le site. Travail que le retour du Tour pourrait remettre en cause.
Il est vrai que la Grande Boucle n'a pas attendu 2008 et le début des travaux du train à crémaillère pour délaisser les pentes du plus célèbre volcan auvergnat. Car après y avoir écrit quelques-unes de ses plus belles pages, le Tour a depuis longtemps refermé son chapitre sur le puy de Dôme. 27 ans déjà que la belle histoire commune, rédigée en lettres d'or par les plus grands noms du vélo pendant près de quatre décennies, a été rangée dans l'armoire aux souvenirs.
La faute, avant tout, à une montée de moins en moins adaptée à l'envergure que prît le Tour de France au tournant des années 80. Entre son sommet exigü et sa voie d'accès unique et trop étroite pour gérer en toute sécurité coureurs, suiveurs et supporters, le Géant des dômes avait déjà atteint ses limites.
« La dernière fois que le Tour y est monté, en 1988, on avait éprouvé beaucoup de difficultés en terme de sécurité à cause de l'étroitesse de la route et de l'absence d'échappatoire ou de voie de secours », se souvient d'ailleurs le sénateur Alain Néri, qui était alors député et vice-président du Conseil général.
Présent lors de chacune des treize arrivées au puy de Dôme, d'abord comme simple spectateur puis en tant qu'élu local, l'homme politique « rêve encore » d'une 14e arrivée « là-haut », mais ne peut cacher un brin de pessimisme : « En cas de problème important, d'accident, de débordement ou de météo qui se dégrade très rapidement, comme c'est souvent le cas au sommet, il est très difficile de procéder à une évacuation. Le Tour est monté plusieurs fois dans ces conditions mais aujourd'hui, dans la configuration traditionnelle, ce serait compliqué. »
LE REGARD DE...
JACQUES AUGENDRE
Ancien journaliste
(L'Equipe, Le Monde,
Midi Libre) ayant
couvert 55 Tours
de France
« Il y avait une ambiance formidable au puy de Dôme. On a parlé de 500.000 personnes. C'est dommage qu'on ne puisse plus y monter. Là-dessus, j'ai un gros regret, c'est que cette épopée du puy de Dôme ne se soit pas si bien terminée que ça. La légende du puy de Dôme aurait mérité un meilleur dénouement.
Les deux dernières arrivées au sommet en 1986 et 1988 n'ont pas été des grandes étapes, ça a été des étapes un peu marginales. En 1986, c'est le Suisse Maechler qui gagne. Il n'était pas dans le coup pour le classement général. Il est le rescapé d'une échappée. Ce jour-là LeMond termine 17e, Hinault 34e, à près de 7 minutes. Ça a été un coup pour rien.
En 1988, c'est un Danois qui s'est imposé, Weltz. Lui non plus n'était pas dans le coup pour le classement général. C'est un peu dommage que ça ne se soit pas terminé sur un coup d'éclat.
Aujourd'hui, j'imagine que Christian Prudhomme regrette de ne pas avoir le puy de Dôme. D'autant qu'il est bien situé sur le chemin du retour à Paris. C'était une arrivée en altitude stratégique.
« À mon sens,
le train
crémaillère
est un peu
un faux prétexte »
Un sommet exigü
et une voie d'accès unique et trop étroite
Christian Prudhomme
avec un projet complètement fou ?
« Je ne veux pas
me résoudre
à me dire
qu'il n'y a
plus de rêve »
Auteurs : Manuel Caillaud, Xavier Trèfle, Frédéric Verna, Nicolas Werquin.
Iconographies : archives La Montagne, Le Populaire du Centre et Sports-Presse.
Remerciements : ASO, Jacques Augendre, Romain Bardet, Pierre Bourduge, Raphaël Géminiani, Daniel Mangeas, Eddy Merckx, Philippe Morge, Alain Néri, Raymond Poulidor, Christian Prudhomme, Guy Roux, Bernard Thévenet, Daniel Thévenet, Dario Toriani, Charles Vigier, Richard Virenque, Joop Zoetemelk.